Interview de S. Exc. Mgr Vitus Huonder

Cette interview a été réalisée par M. l’abbé Lukas Weber le 26 août 2021 à Wangs. Si le texte a dû être révisé, nous avons cependant tenu à garder le style parlé, autant que possible.

► L'Interview en PDF

Monseigneur Huonder vous célébrerez cette année votre 50ème anniversaire de sacerdoce. Toutes nos félicitations et merci d'avoir accepté de nous accorder une interview pour que nous puissions vous connaître un peu mieux. Pareil anniversaire est, bien sûr, l'occasion de jeter un premier regard en arrière, jusqu’à votre enfance, jusqu’à ce garçon de Trun, dans le canton des Grisons, qui voulait devenir prêtre. Comment cela s’est-il passé ?

Je suis né en 1942 à Trun, non loin de Disentis, bien connu pour son monastère bénédictin. C'est là, en l'église Saint Martin de Trun, que j'ai été baptisé. Je peux dire que c'est là que j'ai reçu ma foi. Ce qui m'a beaucoup marqué à cette époque, c'est tout d'abord, la fréquentation précoce de la messe avec ma mère. J'aimais aller à la messe, même alors que je n'étais qu’un enfant de 3 ou 4 ans. Ce qui m'a également toujours impressionné, c'est le chemin de croix qui mène de Trun à Maria Licht. J'ai souvent contemplé ce chemin de croix et l'ai gravé profondément dans mon cœur. Voilà des éléments extérieurs qui m'ont marqué.

Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours eu le profond désir de devenir curé : pas seulement un prêtre, mais un curé. De fait, les prêtres qui y exerçaient leur ministère étaient le curé et surtout le vicaire. C’est lui qui, très tôt, m’a initié au service de la messe. A sept ans, j’étais déjà enfant de chœur, ce que je suis resté jusqu'à mes 26-27 ans environ. C’étaient mes premiers pas dans la foi, ce que je dois surtout à ma mère, car elle a eu une part importante dans la formation de ma foi

Votre témoignage confirme l’importance de l'éducation au sein de la famille et du contact avec les prêtres pour l'éveil des vocations.

Oui, tout à fait. Cela reste très important pour aujourd'hui.

Vous avez ensuite fait vos études, suivi votre formation théologique et vous avez été ordonné prêtre le 25 septembre 1971. Quels souvenirs gardez-vous de cette cérémonie ?

Il a fallu un long cheminement avant d’y arriver. Nous avons déménagé à Thalwil, dans le canton de Zürich, lorsque j'avais huit ans. J'y ai fréquenté l'école primaire, puis le lycée de Disentis, en portant toujours en moi le désir de devenir prêtre. Après de nombreuses étapes, j'ai été ordonné prêtre le 25 septembre 1971. Ce qui m’a particulièrement impressionné lors de mon ordination, ce fut bien sûr l'imposition des mains de l'évêque, et puis l'onction des mains, où j’ai réalisé que ces mains étaient sanctifiées, qu’elles étaient ointes, tout particulièrement pour le saint sacrifice. Cela m'a beaucoup impressionné lors de l'ordination.

En cinquante ans de sacerdoce, on voit passer beaucoup de choses. Peut-être nos lecteurs seraient-ils heureux de connaître une ou deux anecdotes tirées de votre riche expérience.

La vie sacerdotale dans son ensemble est une belle expérience, je tiens à le souligner. Mais si vous voulez une anecdote, je me souviens qu’une fois, comme évêque, lors d’une confirmation en paroisse, un garçon d'environ 11-12 ans est venu me voir après la cérémonie et m'a dit : « Je veux devenir prêtre ». Cela m'a beaucoup touché et réjoui, et m'a montré aussi à quel point il est important que l'évêque visite les paroisses, ce qui permet, non pas forcément de susciter des vocations sacerdotales, mais en tout cas de les fortifier. Ce qui m'a toujours impressionné dans ma vie de prêtre, et tout spécialement ces derniers temps, c'est lorsque je célèbre la messe. Pendant le canon, au cours du silence du canon, je sens que beaucoup de jeunes, qui sont présents ici, se joignent vraiment à ce silence. Cela m’impressionne beaucoup. Des jeunes de 11 à 15 ans... On peut sentir combien la compréhension de ce silence grandit déjà en eux, d’autant plus lorsque ce silence nous fait plonger dans la mort et la souffrance de Notre-Seigneur. Cela m'impressionne à chaque fois.

Il y a sans aucun doute de nombreuses expériences dans la vie d'un prêtre, mais aussi, bien sûr, des croix et des épreuves. Elles n’ont pas manqué dans votre vie, ni sacerdotale, ni épiscopale. Où avez-vous trouvé la force de porter ces croix et de surmonter ces épreuves ?

Tout d'abord dans le saint sacrifice de la messe lui-même. C’est là que l’on puise toujours la force nécessaire pour porter les épreuves. Puis aussi à travers la prière, surtout la prière de l’Église. J'ai toujours beaucoup prié et observé très fidèlement la prière de l’Église, celle du bréviaire. Et j'ai toujours pu sentir combien cette prière me porte, m'aide, me fortifie, me réjouit aussi dans les nombreuses situations difficiles. Ce sont des moments très importants dans la vie d'un prêtre, pour qu’il puisse persévérer, car ce n'est pas toujours facile. Par ailleurs, il est aussi important d'avoir un contact fraternel, d'avoir des confrères qui partagent aussi la même vie, qui vous accompagnent dans la même voie. Ce sont de formidables soutiens dans la vie sacerdotale.

Ce que vous nous dites sonne comme un encouragement ou peut-être comme un appel aux prêtres à vivre réellement une vie de prière malgré toutes les exigences du quotidien. C'est là que vous avez trouvé cette force.

Oui. Je tiens vraiment à souligner que la fidélité du prêtre à sa vie de prière est très importante. Oui.

En tant qu'évêque, vous avez naturellement choisi une devise. La voici : Instaurare omnia in Christo - renouveler toutes choses ou les fortifier dans le Christ. C'est la même devise que celle du pape saint Pie X. Pourquoi ce choix ?

Cela a vraiment un rapport avec le pape saint Pie X. J'avais 12 ans, en 1954, lorsque le pape Pie X a été canonisé. Je me souviens encore de l’image du pape que nous avons reçue en cours de catéchisme. Cette devise était inscrite au bas de l’image. Cela m’a profondément marqué, et m'a accompagné sans cesse. Je sais qu'en 1960, 1961 – lorsque la question du concile était dans l'air, car il avait déjà été annoncé – il y eut diverses discussions au lycée sur le concile, les attentes du concile, etc. Et je me souviens que l'on disait que « l'Église doit se renouveler », etc. J’y ai répondu avec cette devise et j’ai dit : oui, l'Église doit se renouveler, mais selon la devise du pape saint Pie X : « Tout renouveler dans le Christ ».

Après cela, vous avez été pendant 12 ans à la tête du diocèse de Coire. Lorsque le moment était venu de quitter cette fonction après la décision du Pape – c'était il y a un peu plus de deux ans – vous avez fait un pas courageux et avez décidé de vous retirer ici dans une maison de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Aujourd'hui, en êtes-vous heureux ou regrettez-vous ce choix ?

Je suis bien sûr très heureux de ce choix. Il est peut-être important de savoir comment tout cela s'est développé, car il y a eu toute une évolution. Tout d'abord, très tôt comme prêtre, j'ai eu des contacts sporadiques avec des fidèles liés à la Fraternité. Mais ce n'étaient pas des contacts très suivis. Cependant déjà à ce moment-là, j'ai appris à connaître la Fraternité. Puis tout s'est développé avec le mouvement en faveur de la Tradition, Una Voce. Enfin, en tant qu'évêque, j’ai eu davantage de contacts avec des fidèles de la Tradition, mais aussi avec des prêtres. J’ai même reçu la visite de certains membres de la Fraternité Saint-Pie X. C’est là que j'ai appris à les connaître. Ensuite j'ai découvert l'école ici à Wangs, où j’ai même été invité à couronner la statue de Notre-Dame. C'était assez tôt : vers 2012, 2013...

Et puis, bien sûr, ce qui a été décisif, c'est la demande qui m’a été faite, à savoir si je serais prêt à dialoguer avec la Fraternité, comme d’autres évêques à travers le monde. C'est arrivé vers 2014. J'ai dit oui. Cela me tenait particulièrement à cœur. J’ai donc pris contact, entamé ce dialogue, et à partir de là, j’ai pu développer une connaissance plus profonde de la question. Je me suis ensuite impliqué dans l’ensemble de ce qui concerne la Fraternité et la Tradition, et j'ai réalisé que je devais absolument poursuivre dans cette voie. Et finalement, j'ai été persuadé qu’il me fallait approfondir ce contact avec la Fraternité, ce que j’ai fait en portant mon choix sur Wangs pour mon lieu de retraite épiscopale. Ce choix a même été salué par le Saint-Père. Il a confié à un prêtre : « C’est bien, ce qu’il fait là ».

Et maintenant, je suis ici et je dois dire que j’y suis très heureux. J'ai tout un environnement religieux qui me soutient vraiment, qui m'aide à vivre la foi de manière intense, même en tant qu’évêque émérite.

A vous entendre, on peut conclure que vous-même vous avez évolué et que, dans le contact accru avec la Fraternité, vous avez reconnu de plus en plus la parenté d’esprit qui nous lie, l’unique et même foi que nous partageons, et dont vous voulez vivre. Vous ai-je bien compris ?

C'est exact, oui. Mais vous ne devez pas oublier que j'ai vécu toute ma jeunesse dans cette foi. Les grands changements ont eu lieu vers 1968, n'est-ce pas, et j'avais déjà 26 ou 27 ans à l'époque.

… en sorte que vous avez pratiquement pu préserver la foi de votre jeunesse jusqu’à votre vieillesse, malgré les troubles qui ont secoué l'Église et dont vous avez été le témoin.

Oui ! Vous ne devez pas oublier que nous étions jeunes à l'époque où tous ces changements ont eu lieu. Nous étions jeunes. Nous étions très confiants, tant envers le Saint Père qu’envers la hiérarchie. Nous pensions que ce qui se passait sous nos yeux était bien. Nous n'avions pas encore de quoi distinguer. Observer les choses par moi-même, les étudier, ... la liturgie, la théologie…, cela ne vint que plus tard. A l’époque, ce n'était pas encore le cas, précisément parce qu’on faisait totalement confiance. Maintenant que j’avance en âge, je dois avouer qu’on nous a dépouillé de beaucoup de choses. Je le remarque de plus en plus désormais, précisément grâce à ce contact avec la Tradition, avec la Fraternité et les préoccupations de la Fraternité.

Vous avez donc franchi le pas et êtes venu ici, à l'Institut Sancta Maria de Wangs, sans grand tapage, avec discrétion, ce qui, me semble-t-il, correspond parfaitement à votre caractère. Vous n'avez pas jugé nécessaire de faire de grandes déclarations publiques, mais vous avez franchi ce pas par conviction, en vous disant : ma présence ici, mes actes, témoignent de ma conviction intérieure et de la force de ma foi.

Oui, absolument. D'une part, j'attache de l'importance au fait de vivre et de montrer mes convictions. Mais, d'autre part, il est important pour moi que l’on sente dans la Fraternité que cet exemple est aussi un soutien pour elle. Je veux dire pour la Fraternité elle-même, mais aussi pour les prêtres qui recherchent la Tradition, afin qu'ils puissent percevoir que cet exemple les fortifie. Bien sûr, il y a aussi d'autres choses, des conversations par exemple, à travers lesquelles je peux aussi rendre témoignage. Mais avant tout, il est important que ma vie elle-même soit un témoignage.

On aurait pu imaginer que vous choisiriez un autre lieu, dans une autre congrégation. Mais vous avez délibérément choisi cet endroit-ci avec la Fraternité Sacerdotale.

Oui, je l'ai choisi délibérément. Cela ressort clairement de l’évolution dont je vous ai parlé. Je me suis également dit que cette Fraternité – je ne voudrais pas paraître présomptueux – mais que cette Fraternité pourrait aussi avoir besoin de moi. Et je voudrais vous donner aussi à vous Fraternité, mon soutien. C’était vraiment une pensée qui m’a guidé, lorsque j’ai fait ce choix. Il y avait aussi d'autres raisons : j'ai pensé qu'il était bien de me retrouver dans un environnement où il y a des jeunes, pour qu'ils me gardent un peu en forme – ce qui n'est pas toujours facile, car le simple fait de marcher m’est déjà une difficulté. Il était important pour moi de venir dans un environnement où je puisse sentir que la foi est encore jeune.

C’est très bien que vous continuiez à rechercher cette jeunesse tant au plan physique que spirituel ! Je ne voudrais pas manquer de vous remercier pour cette décision, car en effet, pour beaucoup d'entre nous, prêtres et laïcs, c'est un encouragement de voir qu'un évêque se sent chez lui avec nous, qu'il veut soutenir notre travail et nous encourager par sa présence à continuer à être fidèles dans la foi. Merci beaucoup !

J’en suis très heureux !

Votre choix de venir ici n’a pas fait que des heureux. Il a été, disons, perçu de manière négative, également dans les diocèses de Suisse. Si vous aviez fait un choix complètement différent voire atypique, cela aurait été probablement mieux perçu. Comment expliquez-vous cette réaction ?

C'est bien sûr la réaction générale de nombreuses personnes aujourd'hui à l'égard des valeurs de la Tradition. Cela ne s’applique pas seulement à la Fraternité. Il est certain que cette dernière y a sa part, mais ce qui est vraiment en jeu, c'est la question de la Tradition. Il y a une attitude partiellement négative à l'égard de la Tradition. Il est difficile d’en trouver des explications. D'une part, c'est peut-être la conscience historique qui tourmente quelque peu les fidèles dans l’Eglise, car on sait qu'il s'agit en fait de son passé jusqu'à l'époque la plus récente, et de ce passé, on veut s'en défaire. D'autre part, la société a tellement changé qu'on a l'impression que ce n'est plus du tout pour notre époque. D’autres facteurs jouent également un rôle. Ici en Suisse, disons dans l'Église en Suisse, je me suis toujours trouvé dans la ligne de mire. En de nombreux cercles, on m'a toujours critiqué de manière négative. De ce point de vue, cette réaction était donc compréhensible. C'est pourquoi il est important pour moi que les gens sachent que je ne suis pas ici simplement par désir personnel, mais vraiment parce que je considère qu'il s'agit pour moi d'une responsabilité très importante, en tant qu’évêque catholique, de témoigner de mon profond attachement à la Tradition devant l’Eglise notre Mère et devant la Fraternité. Il faut le savoir, j'y attache une grande importance. Mais tout ceci ne suffit pas à susciter une réaction positive, car d'autres facteurs sont à l'origine de cette attitude négative.

Ce grand encouragement que vous nous donnez par votre présence parmi nous est précieux. Peut-être avez-vous quelques mots pour encourager les prêtres de la Fraternité, en leur disant comment vous percevez leur apostolat. Mais aussi comment vous envisagez l’aide à apporter aux prêtres diocésains ou le contact que l’on peut prendre avec eux pour leur montrer la valeur de la Tradition ?

Tout d'abord, la question de la Fraternité elle-même. Je dois avouer qu’elle effectue un travail pastoral merveilleux ici, mais aussi en d'autres endroits. Avoir une pareille école catholique dans un diocèse, c'était mon rêve à l'époque. Mais on ne trouve plus ce type d’écoles en nos régions. Je parle surtout de l'Europe, de l'Europe centrale, je ne connais pas le monde entier, mais ici je dois dire que nous n'en avons plus. Je voudrais féliciter la Fraternité de gérer de telles écoles, et plus généralement que ses prêtres soient proches de leurs fidèles. Nous avons besoin de ces pasteurs, les fidèles attendent aussi ces pasteurs, ils dépendent d'eux.

J'ai récemment visité le séminaire de Zaitzkofen. J'ai pu constater la formation que reçoivent les prêtres. J'ai alors dit au directeur : nous avons ici un modèle pour l'Église. Les responsables de l’Eglise feraient bien de revenir à la formation qui est donnée ici, dans la Fraternité. Aussi bien dans la formation des prêtres que celle des jeunes, ou dans la pastorale quotidienne et dans la vie de communauté des prêtres, c'est très important. De manière idéale aucun prêtre n'est laissé seul, mais il se trouve dans une petite communauté qui le soutient. Tous ces éléments sont en fait des modèles pour l'Église d'aujourd'hui, pour lui montrer comment se renouveler. Voilà ce que je voudrais dire au sujet de la Fraternité.

Quant aux autres prêtres : je sais que beaucoup de jeunes prêtres aujourd'hui aspirent à la Tradition. C’est une simple constatation. Je ne cherche pas à en connaître les motifs, mais je constate qu'il y a ce désir de la Tradition, ce désir de la messe de toujours. Je voudrais encourager ces prêtres à poser un témoignage, à essayer de vivre dans le sens de cette Tradition. Ils ne devraient pas avoir peur, même s'il leur faut peut-être se heurter dans la situation actuelle à bien des désagréments. Mais il ne faut pas qu’ils se laissent décourager, car ce faisant, ils posent un acte qui sera payant dans peut-être 50, 60 ou 70 ans.

Je reviens à la vie de communauté, parce qu'il semble qu’il y ait aussi un point capital dans cette vie que vous partagez dans la maison avec nos prêtres, également avec les jeunes qui viennent ici à l'école. Personne n’ignore que vous êtes un modèle de ponctualité pour la prière commune. Au cours de la journée on vous voit fréquemment à la chapelle, absorbé dans la prière. Nous sommes donc d'accord pour dire que cette constance, cette régularité et ce soin apporté à la vie spirituelle sont très importants pour que le prêtre puisse porter du fruit dans son ministère.

Oui ! Ce serait grave, si l'évêque n'était pas un exemple. Je crois que c'est absolument nécessaire. Et si je peux être là, alors j’en suis reconnaissant, car être exemplaire, cela fait aussi partie de la tâche épiscopale. La vie de prière a toujours eu à mes yeux une grande importance. C'est le soutien de la vie d'un prêtre, de la vie d'un évêque. C’est aussi le soutien dans la vie d'un laïc. J'aime particulièrement la prière du bréviaire, c'est-à-dire la prière de l’Eglise. Je me retrouve volontiers dans la chapelle devant le Saint-Sacrement. Si nous réalisions que la prière est comme une anticipation de la louange éternelle du Dieu trinitaire, nous aimerions certainement prier. Nous pouvons dès maintenant louer réellement le Dieu trinitaire, dès maintenant. Si nous le réalisions vraiment, je pense que nous irions beaucoup plus volontiers prier. Avec la prière, avec la messe, nous avons déjà un pied dans l'éternité.

Je trouve que c’est très précieux pour les jeunes garçons qui reçoivent ici leur éducation d’avoir devant les yeux cet exemple des prêtres, d'un évêque. Cela contribuera à les former, à bien les préparer pour l'avenir, et probablement aussi à éveiller de nouvelles vocations pour le sacerdoce.

C’est donc ici, dans cette école, que vous voyez le travail accompli par la Fraternité dans le domaine de l'éducation. Si je comprends bien votre réponse, j’en déduis que vous êtes parfaitement d'accord avec nous pour dire qu'il est juste et important que la Fraternité mette également l'accent sur les écoles dans son apostolat.

C'est très important. Ce n'est pas seulement une option quelconque, mais je voudrais dire que c'est vraiment une priorité, qui nous conduit au but, car si nous n’éduquons plus les jeunes dans la foi comme ils sont éduqués ici, non seulement dans les sciences, ce qui est aussi important, mais surtout en vue d’acquérir une éducation religieuse, un savoir religieux et particulièrement une pratique religieuse, il n’y aura plus de vocations, car c'est de là que viennent les vocations sacerdotales. C'est très important. Et c'est ce qui fait malheureusement largement défaut dans nos milieux, en Europe.

On se plaint aujourd'hui qu'il y a trop peu de prêtres, mais une des raisons pour lesquelles les choses en sont arrivées là, c’est que l'éducation vraiment religieuse a été négligée, ou du moins cette religiosité a été transmise d’une façon telle qu’elle n’a pu pénétrer en profondeur. Je dirais surtout qu’elle ne va pas au cœur de notre foi. C’est pourquoi je voudrais vraiment féliciter la Fraternité Sacerdotale et demander aux prêtres d’affronter cette tâche souvent difficile avec une joie toujours renouvelée. Car il n’est pas aisé d'éduquer des enfants et des jeunes. Cela me frappe d'autant plus maintenant, bien sûr, que j'en suis très proche.

Pouvez-vous également témoigner que les jeunes reçoivent ici un véritable esprit d’Eglise ? Notre Fraternité est, de fait, souvent accusée d'avoir une attitude ou une intention schismatique. Autrement dit, pouvez-vous vraiment confirmer que ce travail est celui que l'Église a toujours voulu à travers tous les siècles, et le veut encore aujourd’hui ?

Bien sûr, je peux en témoigner d’autant plus que j'ai moi-même bénéficié de cette éducation. Et si quelqu’un prétendait que j'ai appartenu à cette époque à une communauté schismatique et que j'y aurais adopté ces théories, je ne manquerais pas de le contredire. C'était tout à fait normal à l'époque d'être éduqué de la sorte. A certains égards, notre éducation était beaucoup plus stricte. En tout premier lieu, nous avions la messe quotidienne. C'était obligatoire pour tout le monde. Nous n'avions pas l'occasion de rendre visite à nos parents aussi souvent que les enfants d'ici le font. Donc le régime à mon époque était en fait encore plus strict. Et c'est pourquoi je peux dire sans hésiter que ce qui est fait et accompli ici est tout simplement catholique, devrait être aussi pour les autres considéré comme simplement catholique.

En ce qui concerne l'accusation de schisme, eh bien, c'est peut-être une anecdote, mais vous savez que j'ai eu quelques contacts avec le Saint-Père, également au sujet de la Fraternité. La question du schisme a été soulevée, et le Saint-Père lui-même a dit à plusieurs reprises : « Ce n'est pas une communauté schismatique ». Le pape François lui-même me l'a dit lors d'une audience privée. Je le signale juste en passant, aussi pour rassurer les personnes qui reviennent sans cesse sur ce sujet, ou qui souffrent de cette fausse accusation.

Merci Monseigneur de nous le confirmer ! Vous vivez donc maintenant ici, à Wangs, comme évêque à la retraite, mais vous n'êtes pas oisif, vous êtes encore très actif. Quelles sont vos occupations ?

Ce sont des activités plutôt discrètes, mais avant tout la prière et la messe quotidienne. C'est très important pour tout prêtre et plus encore pour un évêque. J'ai également des contacts avec les élèves. Des contacts ponctuels, pourrait-on dire : je confesse parfois les élèves, il m’arrive aussi de visiter une classe de catéchisme ou de donner moi-même un cours de religion. C'est plutôt rare, mais cela arrive. Et comme je vis en communauté avec les prêtres de la maison, je m’entretiens avec eux. Parfois j’ai à préparer une conférence, ce qui me donne l’occasion de me plonger dans la Sainte Écriture, qui me tient particulièrement à cœur. Je l'ai toujours tenue en haute estime et je lui ai, du reste, consacré une thèse de doctorat. Comme vous le voyez, il s'agit donc de petites tâches de ce genre ou d'une aide occasionnelle dans un prieuré pour célébrer la messe, pour y prêcher. Ici aussi il m’arrive de prêcher de temps en temps. Toutes ces activités me comblent vraiment.

Depuis que vous êtes ici à Wangs, vous célébrez également la messe quotidiennement, et vous le faites exclusivement selon le rite traditionnel. Que vous apporte la célébration de ce rite traditionnel ?

J'ai bien sûr étudié de très près le nouveau rite et le rite traditionnel. Cette étude m’a fait remarquer des différences significatives : par exemple, que certains textes avaient été raccourcis, supprimés, comme des prières qui sont très importantes pour le prêtre. Or je ne peux vivre de toutes ces prières que dans le rite traditionnel. Il est clair que cela fortifie le prêtre, cela renforce surtout la foi, mais aussi le don de soi au cours de la messe. On est vraiment devant Dieu, devant Jésus et pas simplement devant une communauté. Tout cela, je peux le redécouvrir dans le rite traditionnel ; c'est si précieux et, disons, si intemporel que je ne voudrais plus revenir en arrière.

Puis-je conclure de vos propos que vous ne souhaitez plus du tout célébrer le Novus Ordo ?

Je ne veux plus le faire. Je sens simplement que je ne pourrais plus le faire, car que lorsque l’on plonge dans la messe traditionnelle, on en arrive tout simplement à un point où l’on sent qu’on ne peut plus faire autre chose.

Pas seulement à cause d'un sentiment ou de l’esthétique, mais à cause de la foi.

Oui, à cause de sa profondeur. Je dis toujours : le rite tel que nous l'avons est aussi une profession de foi, et une profession de foi ne peut pas être simplement mise de côté. Que dirait-on si, en tant qu'évêque, j'interdisais de prier le Symbole des Apôtres ? Que me diraient ces fidèles ? Elles me diraient : qu’est-ce qui vous prend, ça n’est pas possible ! Il ne faut pas oublier que le rite traditionnel, surtout parce qu'il a ce poids des ans, cette maturité, est aussi une profession de foi. On ne peut pas exiger des fidèles qu'ils mettent de côté cette profession de foi.

Monseigneur, on est toujours frappé par votre sourire et votre bienveillance envers les personnes qui vous abordent. Comment faites-vous pour garder cet équilibre d'âme et cette jeunesse de cœur ?

C'est très sérieux ce que vous avez dit. Cette jeunesse du cœur, elle vient vraiment de la foi. Et surtout du contact constant avec le Seigneur. Et c'est la raison pour laquelle j'y attache une grande importance.  Je l'ai déjà dit et redit aux élèves : il est important que vous ayez une bonne relation avec Jésus, une relation d’amitié. Et pour que vous y parveniez, il est bon que vous ayez une image du Seigneur, une belle image, un beau visage du Seigneur. Et si vous regardez cette image encore et encore et que vous le regardez comme s'il était là, vous resterez toujours en dialogue avec lui, même lorsque vous êtes en contact avec d'autres personnes. Et cela vous aide à avoir une relation très personnelle avec Jésus, et une telle relation est toujours quelque chose de beau, quelque chose d'édifiant, quelque chose qui rend finalement les gens heureux.

C’est beau que vous soigniez cela et je pense que chaque matin, quand vous débutez la messe, vous prononcez les paroles du psaume : « J’irai à l'autel de Dieu, de Dieu qui ravit ma jeunesse ».

C'est vrai !

Ce n'est pas un mensonge, même pour un évêque déjà avancé en âge.

[rires] Un évêque ne doit pas mentir. Il doit toujours dire la vérité.

Si l'on fait abstraction de vos insignes épiscopaux, vous êtes une personne très simple qui vivez ici parmi les confrères. Comment faites-vous pour rester aussi retiré en tant qu'ancien évêque d'un grand diocèse de Suisse et ne plus apparaître en public ?

Nous trouvons plusieurs passages très importants dans les Psaumes où il est souligné à maintes reprises que tout est éphémère, que nous devons toujours avoir la mort à l'esprit, que même la gloire d'un évêque, dans la mesure où elle existe, passe aussi. Et il est bon de se rappeler sans cesse, même quand on est en fonction, qu'un jour ce sera fini, qu'alors il faudra s'organiser différemment ; qu’on se tiendra devant le Seigneur d'une manière complètement différente. Cette pensée m'a habité toute ma vie, je me suis toujours dit : « à un moment donné, ce que tu fais maintenant sera terminé, même si c’est la plus belle des choses » ; et donc la fonction épiscopale prendra aussi fin un jour, par un appel du Saint-Père ou par le Seigneur lui-même. Il faut toujours avoir cette pensée à l’esprit et s'y tenir. D'un autre côté, c’est aussi agréable de pouvoir renoncer à un fardeau pour se consacrer à approfondir encore davantage sa foi, sa théologie, sa connaissance des Saintes Écritures. C'est le beau côté de la vie d’un ancien évêque, car il y a ça aussi, le bon côté des choses. Ainsi va la vie : nous devons être prêts à déposer notre tâche au jour où le Seigneur nous appellera, lorsqu'il nous dira : « Le moment est venu ». Le livre de la Sagesse dit fort bellement : « Il y a un moment pour tout et un temps pour chaque chose sous le ciel ». De même, il y a aussi un temps pour l'épiscopat et un temps qui lui succède, celui d’évêque émérite.

Vous avez donc laissé derrière vous votre dignité et votre charge d'évêque diocésain, mais bien sûr vous êtes toujours un évêque et dans cette mesure vous êtes toujours actif dans l'Église. On m'a dit que, très souvent, des prêtres et parfois des laïcs viennent ici pour vous rendre visite, pour vous demander conseil, peut-être voir plus clair dans leurs difficultés, je m’imagine. Sans vouloir connaître de secrets, que dites-vous à ces personnes ?

Eh bien, la plupart de ces personnes viennent parce qu'elles rencontrent des difficultés dans la vie actuelle ou avec ce qui se passe dans l’Eglise, entre autres. La plupart du temps, il faut donc les conforter et leur dire : nous devons poursuivre dans cette direction, nous ne devons pas relâcher notre foi, nos convictions, etc. La plupart ont besoin d'un mot d'encouragement, d'un soutien. D'autres viennent simplement voir ce que fait l'évêque maintenant, comment il va, et puis il y a ces conversations légères où l’on parle entre nous des choses de tous les jours. Mais la plupart du temps, ces personnes recherchent une aide spirituelle pour leur âme, et en tant qu'évêque, je suis tenu de prendre ce devoir au sérieux. Un évêque ressent l’exigence continuelle de se comporter en pasteur. Cela fait partie de la fonction, nous sommes des bergers, et c'est pourquoi nous sommes en fait reconnaissants s’il nous est donné, malgré l’âge, d’exercer cette fonction pastorale d’une manière ou d’une autre. C'est aussi une grâce de Dieu.

Votre choix de venir ici à Wangs rend tout cela possible, ne serait-ce que parmi les nombreuses âmes qui vivent dans la maison. Entretenez-vous encore des contacts avec les organes hiérarchiques officiels de l'Église, ou peut-être avec le Vatican ?

Bien sûr, je m’efforce encore de maintenir certains contacts. Mais naturellement, c’est plus difficile pour un évêque émérite de les entretenir que pour un évêque qui est en fonction et qui, en vertu de sa mission, doit se rendre à Rome de temps en temps. Ils sont donc plus sporadiques, mais dans la mesure du possible, j'essaie de les maintenir intéressés à la cause. En fait, on reste un évêque et, en tant qu'évêque, je porte toujours, en un certain sens, la responsabilité de la vie de l'Église.

Comment voyez-vous l'avenir proche de l'Église, compte tenu de la crise qu'elle traverse réellement ?

Je ne peux évidemment juger que de la crise dans nos contrées. Je ne connais pas la situation en Afrique. J’ignore ce qu’il en est de l’Asie. Mais je voudrais simplement répéter ici que nous ne sortirons de la crise que dans la mesure où nous reviendrons aux anciennes valeurs de la Tradition. Sans cela, nous n'avancerons pas. Nous ferons un peu de bricolage, cela n’aura aucun avenir et ne laissera que des déceptions. On dira que c’est juste comme ça, qu’il n’y a pas assez de prêtres, que les fidèles doivent s'en accommoder et ainsi de suite, au lieu de reconnaître où se trouvent les causes de la crise et de s’attaquer à la racine.

Les signes, même du côté de la plus haute autorité de l'Église, ne laissent pas vraiment présager un retour aux sources de la Tradition. Tout récemment, le pape François a publié son Motu Proprio Traditionis Custodes, par lequel il limite largement la célébration de la messe selon le rite traditionnel. On ne peut s'empêcher de penser qu'il cherche à l'empêcher presque entièrement. Comment avez-vous accueilli ce document ?

Vous pouvez imaginer que cela m'a beaucoup affecté, m'a attristé, oui, j'ai pleuré. Je ne m'attendais pas à ça. Je ne vois pas quelles en sont les causes. Si j'étais encore un évêque en fonction avec un bon accès au Saint-Père, je lui demanderais de s’informer davantage auprès des personnes que cette mesure affecte. Il y a tant de personnes qui sont touchées et non seulement des prêtres, mais ce sont des fidèles qui sont touchés, des enfants, des jeunes, des familles, car j’ai pu le constater, dans la Tradition, nous avons des familles nombreuses. Je ne sais pas si les conseillers du Saint-Père se rendaient compte de ce qu’ils infligeaient à ces personnes. Que leur inflige-t-on ?! Non, cela me rend profondément triste et je demande vraiment à mes confrères dans l'épiscopat, en particulier aux cardinaux, de reconsidérer toute l'affaire, ce qui s'est passé et d'approcher le Saint-Père avec les demandes qui s’imposent. C'est leur devoir, car il ne s'agit pas simplement d'une loi ecclésiastique, d'un décret. Il s'agit du cœur de la foi. Le cœur de la foi. Et s’attaquer ainsi au cœur de la foi des fidèles, ce n'est tout simplement pas bon. Cela ne peut rien porter de bon.

Et si cela concerne le cœur de la foi, vous dites que cela affecte les gens, les âmes, les catholiques, mais aussi l'Église elle-même.

Cela concerne l'Église elle-même, oui. Parce que, en fin de compte, l'Église vit de cette foi.

Et la foi n'est pas mise à sa disposition, pas même à celle du Pape.

Non, la foi est donnée, elle est au-dessus de toute autorité, ou plutôt toute autorité est soumise à l’autorité de la foi, ce qui signifie en définitive à l'autorité de Notre-Seigneur, car la foi vient de Notre-Seigneur. Et toute autorité doit lui rendre des comptes, également sur ce point (c’est-à-dire le Motu Proprio Traditionis Custodes). Il faudrait réaliser quelle grande responsabilité on assume en adoptant une telle ordonnance.

Il semble apparemment que la mesure prise avec ce document n’était pas motivée par la foi, même si cela semble sous-entendu, mais plutôt par le souci de l'unité dans l'Église. Le pape peut-il espérer promouvoir l'unité de l'Église par ce Motu Proprio Traditionis Custodes ?

Je trouve cette argumentation étrange, car nous savons très bien que dans l’Église catholique, divers rites ont toujours été coexisté. L'unité de l'Église n'était pas menacée par cette diversité. La question de l'unité de l'Église est ailleurs, c'est-à-dire dans la foi, dans la fidélité à la foi. Je crois que l'unité de l'Église est aujourd'hui menacée par le fait que, dans une large mesure, même parmi les théologiens etc., je ne veux pas être plus explicite, la fidélité, la fidélité à la foi dans le Seigneur n'est pas présente ou s’est estompée. Je le répète : la foi est donnée par Notre-Seigneur, par les apôtres qui l'ont transmise, et cette foi nous oblige. Or c'est ce qui, en grande partie, manque aujourd'hui dans l'Église, et qui menace l'unité.

Vous touchez le point crucial, notre Fraternité voit les choses de la même manière. Après la foi, et découlant de celle-ci, viennent les questions morales. De nombreux contemporains insatisfaits de l’Eglise, voudraient la réduire à ces questions morales. En tant qu'évêque, vous avez vous-même courageusement défendu les principes moraux catholiques, ce qui vous a valu de nombreuses campagnes haineuses dans la presse. Avec le recul, regrettez-vous d'avoir agi de la sorte, ou pensez-vous que cela reste d’actualité ?

Non, je ne le regrette pas. Au contraire, je garde présent à l’esprit que je devrai me présenter un jour devant le Seigneur, et il me demandera ce que j'ai fait à cet égard. Il me faudra lui dire ce que j'ai dit et fait : j'ai essayé d’enseigner, par exemple, sur la base des Saintes Écritures, ce qui est le fondement de notre foi, à savoir la Parole de Dieu, la révélation de Dieu. J'ai essayé de la transmettre ainsi et c'est pourquoi je suis confiant et serein. Bien sûr, l’évolution de toute la politique, de la morale publique, etc., va dans une autre direction, mais cela ne nous dispense pas de rappeler sans cesse ce que les Écritures nous disent, ce que la Révélation nous dit de la vie morale. Car cela vient de la foi. Dans les épîtres de saint Paul, par exemple, il y a toujours une partie d’enseignement, où il est question de la foi, et de là, il déduit le mode de vie, ou en d'autres termes la morale. C'est donc de la foi que découle la manière de vivre. Il y attache une grande importance, et répète dans tous ses écrits que nous devons vivre en conformité avec la foi. C'est ce que le monde actuel doit apprendre à nouveau, nous devons y réfléchir à nouveau. Alors certains développements ne seront plus possibles. C’est là qu’il nous faut rester courageux et persévérer, même si on nous accuse d'être vieux-jeu. On nous dit souvent que c’est du Moyen Âge – une fidèle m'a dit un jour : « Vous êtes coincé au Moyen Âge ». Ce n'est pas le Moyen Âge, c'est simplement une conséquence de notre foi. Et il faut que cela continue. Comme je l’ai dit : je ne regrette rien et je demande aussi en particulier à mes confrères dans l'épiscopat de travailler dans cette direction.

Le 25 septembre vous fêterez votre jubilé. Le lendemain, le peuple suisse sera appelé à se prononcer dans les urnes sur le projet de loi introduisant le « mariage pour tous ». En d'autres termes, l'union contre-nature de personnes du même sexe devrait être placée au même niveau que le sacrement du mariage institué par Dieu entre un homme et une femme. Comment voyez-vous l'évolution de notre société et comment pouvons-nous la contrer ?

Tout d'abord, je dois dire qu'il est clair que notre foi nous interdira toujours de dire oui à une pareille évolution. Cela signifie, bien entendu, que nous devons nous positionner en conséquence dans la vie publique et faire tout ce qui est possible pour l’empêcher. Ce sera difficile, mais tout chrétien y est tenu par sa foi. S'il prend sa foi au sérieux, il doit affirmer que tout cela va contre la loi de Dieu !

Il est bien clair qu’aujourd'hui la loi divine n'est plus prise au sérieux, la loi naturelle non plus, elle n'existe même pas, elle est vue comme le fruit de l'imagination de certains théologiens dépassés. Mais c’est notre conviction, notre foi : et ce qui se trame contredit la loi divine, contredit la loi naturelle ! Nous devons nous comporter en conséquence, y compris dans la vie publique, et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour qu'une telle évolution ne conduise pas la société vers l'abîme. Je ne peux pas en dire plus à ce sujet.

Passons à quelque chose de plus agréable : dans votre carrière épiscopale et par propre expérience, vous avez remarqué que de plus en plus de jeunes, et même des vocations, se tournent vers la Tradition, vers la messe de toujours, vers la foi pérenne de l'Église. Est-ce bien là votre constat ?

Je dois déjà faire un constat, c’est qu'il y a beaucoup de jeunes dans la Tradition, beaucoup de familles. En d'autres termes, je constate que la Tradition est jeune ! Cela nous rend encore davantage responsables, nous les évêques, les dirigeants de l'Église. Nous sommes mis devant notre responsabilité, car il est indéniable que quelque chose se passe ici, grandit, et ce mouvement – je ne peux pas le concevoir autrement – est sous la mouvance du Saint-Esprit ! Ce n’est pas l’œuvre d’une personne quelconque, mais c'est l'œuvre du Saint-Esprit ! Dans la mesure où l'on considère que de jeunes prêtres viennent, qui n’ont très souvent que très peu de connaissance de la Tradition, une question se pose : comment se fait-il qu’ils y viennent ? Ma seule explication est que l'Esprit de Dieu est à l'œuvre ici ! C'est pourquoi j’encourage ces personnes – même si elles sont candidates à la prêtrise, et désormais dans une situation très difficile – à poursuivre dans cette voie et à demander à l'Esprit-Saint de leur accorder la persévérance et, surtout, une connaissance de plus en plus profonde. Car plus la connaissance de ces vérités de foi est profonde, plus la foi se fortifie ! Et plus on peut travailler avec conviction et avec force.

Saint Paul dit que « la foi vient de ce que l’on entend ». Nous avons donc la tâche de transmettre cela au clergé par notre parole et notre témoignage.

Oui, c'est le but de toute prédication ! Et les prêtres, particulièrement à ce sujet, sont mis devant leur responsabilité.

Dans de nombreux centres de messes de la Fraternité, nous avons pu constater, en cette période marquée par les mesures Covid, que de plus en plus de catholiques des paroisses officielles ont commencé à découvrir la Tradition, car ils ont probablement été souvent déçus par la façon dont leurs pasteurs ont géré ces mesures, ce qui a conduit à une restriction sévère de la réception des sacrements. Ils ont cherché à recevoir les sacrements dans nos chapelles et nos maisons et beaucoup d'entre eux ont alors réalisé à cette occasion le peu de connaissance de la foi qu'ils ont reçue dans ces paroisses, et combien ils méconnaissent leur foi. Pensez-vous que c’est là un facteur qui explique la crise dans laquelle sont plongés l’Eglise et les catholiques ? Est-ce aussi une crise de foi ?

Oui, c'est une crise de la foi dans le sens où vous l’entendez, à savoir que la foi n'a pas été enseignée dans toute sa profondeur. C’est dans la catéchèse, surtout dans la catéchèse, je dois malheureusement le dire, que nous avons pu constater ce manque, au cours des 50 dernières années. Cette transmission profonde de la foi n’a plus eu cours dans de très nombreuses paroisses, dans de très nombreuses institutions où elle aurait dû être enseignée. C'est de là que vient cette ignorance de la foi. Et c'est pourquoi le catéchisme, l'instruction, au sens du catéchisme, est d'une grande importance. Et là je dois encore remarquer que, dans la Fraternité – mais aussi dans d'autres mouvements de la Tradition – le catéchisme est pris très au sérieux et est enseigné très sérieusement. C'est de là que vient l’accroissement de la foi dans ces milieux. Il est absolument nécessaire que nous enseignions à nouveau la foi dans sa plénitude. Pas seulement sur certains sujets qui plaisent aux gens, ou dont on a l'impression qu'ils plaisent aux gens, mais vraiment dans toute sa profondeur, dans toute son ampleur.

Monseigneur, merci beaucoup pour le témoignage que vous nous avez donné aujourd'hui et les encouragements qu'il contient. Je vous souhaite une vie aussi longue que le Seigneur le veut, remplie de foi et avec la satisfaction de témoigner et de transmettre cette foi et aussi de pouvoir travailler comme évêque !

Merci beaucoup ! Vous avez ainsi exprimé un souhait qui, je l'espère, se réalisera vraiment !

Deo gratias !