Lettre Circulaire aux fidèles de Suisse – Le Rocher 142 – Avril-Mai 2023

Bien chers fidèles,

Il est de plus en plus difficile aujourd’hui de parler de morale et probablement plus encore de défendre la morale catholique. On se plaint souvent du délabrement complet de la société et de fait, où ne sait plus par où commencer lorsqu’il s’agit de décrire la situation actuelle. Même les faire-part des décès nécessiteront bientôt des experts pour nous faire comprendre les liens qui unissent les différents membres d’une même famille.

Etablir ce constat n’a pas pour but de stigmatiser ni d’accuser, mais simplement de mettre en évidence le triomphe de l’égoïsme et du mal ! Il est fort probable que de nombreux contemporains soient simplement victimes de cet état de fait et peut-être nombre d’entre eux aimeraient en sortir. Alors que faire pour freiner cet écroulement de la société, que faire pour ne pas être emportés par ce flot qui renverse tout sur son passage ?

En préambule, il convient de reconnaître que toutes les époques ont connu des dérives et des scandales. Il serait faux et surtout inutile d’affirmer que les individus étaient meilleurs hier qu’aujourd’hui, la nature humaine reste profondément la même, blessée par le péché originel. Le problème de notre époque, c’est que la dérive et le péché sont devenus la norme : plus personne ne s’offusque devant des divorcés remariés ou des concubins, sans parler des unions de même genre. Allez donc détecter une fièvre avec un thermomètre qui a été détruit !

Le constat du délabrement des mœurs est sans appel et il est difficile de savoir comment y réagir. Le dilemme est de savoir comment garder un cœur d’apôtre pour toucher les âmes et les amener à la vérité et en même temps conserver la ligne de la morale catholique et s’y tenir, car accepter de telles situations sans rien dire nous faire courir le risque bien réel de banaliser le mal et de nous y habituer.

Un point central doit nous aider : si difficile que puisse être notre vie en ce monde, nous devons toujours revenir au but et au cœur de nos préoccupations qui est l’obtention du bonheur du ciel ! Notre finalité sur terre n’est ni la reconnaissance, ni la tranquillité : ce qui doit nous tenir en haleine, c’est le salut des âmes et de la nôtre en particulier.

Cette évidence rappelée, nous pouvons constater que la difficulté de notre action consiste à tenir compte d’une société qui s’est coupée de Dieu et ne reconnaît plus même les principes de la loi naturelle, sans toutefois nous y habituer ! Saint Thomas explique par exemple que, chez les barbares, le vol n’était pas considéré comme mauvais. Cela ne signifie pas que le vol n’était plus un péché, mais simplement que l’aveuglement de ces personnes ne leur permettait parfois plus de le reconnaître comme tel. Leur conscience avait été faussée, comme l’est celle de nos contemporains. Cet exemple nous montre la nécessité de prendre les gens comme ils sont, pour les amener petit à petit à la connaissance de leur état. Il en faut du temps pour éclairer une conscience qui a été faussée !

Un autre exemple illustre ce propos de manière assez simple. C’est la question de la sépulture ecclésiastique. Autrefois, les cimetières étaient terre d’Eglise, un lieu réservé aux catholiques. Aujourd’hui c’est souvent le lieu communal où tous les morts sans distinction trouvent leur dernière demeure. Il n’y aurait plus aucun sens à interdire à un non catholique une inhumation, d’autant qu’elle manifeste encore un sens naturel de la mort. C’est toujours mieux que les nombreuses alternatives que l’on propose aujourd’hui !

En revanche, il est important et nécessaire de maintenir le refus des cérémonies ecclésiastiques pour qui a vécu publiquement loin de Dieu ou dans le péché. Une telle attitude ne signifie pas que l’on juge l’âme du défunt, car Dieu seul est juge, mais c’est une manière claire de détourner d’un état de vie qui, objectivement, mène au malheur éternel. Si la mort ici-bas est toujours une déchirure, le seul vrai drame c’est la mort éternelle causée par le péché.

Ces principes et leur application prudentielle valent pour les nombreuses circonstances où la morale n’est plus respectée, en particulier pour la morale matrimoniale. Pour un baptisé, le seul couple légitime est celui qui s’est uni devant Dieu pour la vie. En raison de la dépravation des mœurs, de la déchristianisation de la société, nous en sommes arrivés à une morale à géométrie variable qui juge avec les sentiments et non plus à l’aulne des commandements. Une vie de couple sans mariage-sacrement, un remariage alors qu’il y avait eu sacrement nous paraissent relativement acceptables voire bons dans la mesure où les époux s’aiment et, qui plus est, s’il y a des enfants.

C’est malheureusement faux : une maladie mortelle reste mortelle même quand on ne voit encore rien sur le malade. De nombreux contemporains ne le savent plus, car ils n’ont souvent rien reçu et leurs valeurs morales sont tellement vagues ! Il nous faut donc tenir compte des circonstances de leur vie, de leur éducation. On ne peut pas tout leur expliquer d’un seul coup. Il faut du temps et de la patience, on ne peut jeter l’anathème à des personnes qui n’ont rien reçu.

Il faut cependant défendre et sauver cette institution du mariage et la morale catholique. C’est pourquoi il faut rester ferme quand les personnes concernées ont été élevées dans ces valeurs morales. Ces personnes ont la connaissance d’être dans une situation de péché. Ainsi, les accepter comme telles et faire comme si de rien n’était, serait manquer à la charité la plus élémentaire, car cela reviendrait à les maintenir dans cette situation. Il faut leur faire la charité de la vérité.

Cette fermeté, si difficile soit-elle, n’est pas uniquement utile au couple concerné, car bien souvent elle n’a guère d’effet à court terme. Elle s’étend cependant bien au-delà, pour manifester publiquement au reste de la famille qu’une telle situation n’est pas acceptable. Ce n’est rien d’autre que la défense du bien commun : rappeler clairement qu’une situation de péché conduit à un malheur éternel, même si ce rappel vient déranger un bien particulier passager.

Il nous faut encore faire quelques précisions. Il convient de bien comprendre ici que le problème c’est le couple en tant que tel, car il vit à l’encontre des lois de l’Eglise. Les deux époux ne sont que pseudo époux, en fait concubinaires. On ne pourra donc pas recevoir ce couple chez soi ou lors d’une fête de famille, au risque de banaliser un mal profond qui gangrène la société et l’Eglise. En revanche l’enfant qui vit dans cette situation fausse, et sa progéniture, doivent toujours rester les bienvenus, et le savoir. Certes, dans ce domaine, l’émotion et les sentiments souvent s’en mêlent, mais finalement la question n’est-elle pas de savoir où se trouvent nos valeurs ? La paix momentanée de la famille est-elle à préférer au salut éternel ? Souhaite-t-on la tranquillité ou le bonheur du ciel ? Il faut être prudent et demander conseil, mais il ne faut pas être faible et crédule. Une famille catholique est un trésor que notre monde cherche à détruire par tous les moyens. A nous de tout entreprendre pour la conserver et la défendre !

Je terminerai par le rappel d’une belle figure, figure plutôt de l’Avent que du Carême, mais qu’il est magnifique de contempler : le précurseur de Notre-Seigneur, saint Jean-Baptiste. Une fois son rôle accompli pour préparer la voie du Seigneur, voilà qu’il a pour mission de défendre le mariage. Il va le faire même au prix de sa vie. Belle leçon à tirer pour nous : il nous faut non seulement faciliter la venue de Notre-Seigneur dans les âmes, mais il faut aussi lutter pour que notre environnement aide à conserver la vertu, ce qui commence dans nos propres familles.

Ayons le courage et la force, sans omettre la bonté et la patience, de lutter contre les maximes d’un monde qui veut vivre sans foi ni loi, et gardons en estime et en honneur la sainteté de la famille catholique !

Abbé Thibaud Favre